AccueilÉconomieMarc Delcourt, Global Bioenergies « Les carburants durables, pour sauver le climat par les biosciences »

Marc Delcourt, Global Bioenergies « Les carburants durables, pour sauver le climat par les biosciences »

Microbiologiste de formation, et en charge de l’ingénierie des bactéries pour produire des composés naturels, le directeur général de Global Bioenergies Marc Delcourt a récemment répondu à nos questions.
Le directeur général de Global Bioenergies Marc Delcourt parle de l’isobutène, une molécule d’avenir.
© Gilbert Charles - Le directeur général de Global Bioenergies Marc Delcourt parle de l’isobutène, une molécule d’avenir.

Économie Publié le , Propos recueillis par Boris Stoykov

Il a notamment présenté l’isobutène, une molécule développée par l’entreprise qui atteint de nombreux domaines, dont l’automobile et la cosmétique, et qui permet de lutter contre le réchauffement climatique et la dépendance au pétrole.

Marc Delcourt, pouvez-vous nous présenter Global Bioenergies ?

Marc Delcourt : Global Bioenergies a été créée en 2008. C'est une société qui a déjà une quinzaine d'années. Nous ne faisons qu'une seule chose : nous développons et commercialisons un procédé, qui permet de convertir les ressources végétales quelles qu’elles soient, comme le sucre, les céréales, les déchets agricoles et forestiers, pour les transformer en une molécule qui n'est pas connue du grand public : l’isobutène.

L’isobutène, c'est une des molécules centrales de la pétrochimie, à partir de laquelle on confectionne plusieurs choses. Nous faisons de l'essence pour les voitures, du kérosène pour les avions, mais aussi des matériaux, des plastiques, et du caoutchouc, ainsi que de la chimie fine dans les arômes et beaucoup dans la cosmétique.

Aujourd'hui, le procédé est exploité à petite échelle. Nous avons une usine dans l'est de la France, à Pomacle, qui nous permet de produire des dizaines de tonnes. Ces quantités vont vers des marchés de niche. Nous en avons aujourd’hui identifié deux. Le premier est la cosmétique, plus précisément le maquillage, et le second le sport automobile avec la Formule 1 et de la Moto GP. Ces marchés de niche sont donc nos terrains de jeu. Nous démarrons actuellement la commercialisation, et notre chiffre d'affaires commence tout juste à décoller.

Vous créez donc des hydrocarbures à partir de produits issus de l’agriculture, mais comment fonctionne le processus ? Une Formule 1, qui roule à plus de 300 km/h, grâce à un tel procédé, c’est difficile à imaginer…

Déjà, il faut remettre dans le contexte. Début 2022, la Fédération internationale de l’automobile (FIA) a décidé qu’il n’y aurait plus une goutte de pétrole dans la Formule 1 en 2026. Une décision normale, puisque le monde change, et que l’Europe compte s’affranchir du pétrole à partir de 2035. Or, la Formule 1 a toujours été précurseur sur l’automobile, de manière générale. Nous sommes donc ici dans la logique de sortie du pétrole. Toutefois, cela pose un certain nombre de contraintes. L’éthanol a été envisagée pour les Formule 1, mais ce carburant ne permet pas d’atteindre les performances élevées souhaitées pour ce sport automobile, il faut donc d’autres alternatives, qui sont les hydrocarbures. Puisqu’ils sont à la fois denses au niveau de l’énergie et ont un rendement énergétique très élevées. Nous nous en sommes rendus compte, en discutant avec de nombreux acteurs, et depuis, nous développons ce produit.

© Lionel Antoni

Pour la Moto GP, c’est la même chose ?

Le monde de la moto est moins visible que la Formule 1. La couverture média est plus faible, tout comme le budget et le carburant utilisé. Toutefois, la Moto a décidé de suivre la Formule 1. Et donc, en 2027, il n'y aura plus de pétrole dans les motos GP. Contrairement à la Formule 1, où jusqu’en 2025, le carburant sera libre, puis en 2026 ce sera du zéro pétrole, en Moto il y a une spécificité. Le changement s’opérera plus progressivement, c’est-à-dire que, dès 2024, il y aura 40 % de biocarburants dans les réservoirs des motos GP. Voici deux marchés qui émergent avec des dynamiques légèrement différentes et que nous suivons de très près.

Des voitures rouleront donc avec ce carburant à plus de 300 km/h. Sera-t-il aussi possible, à partir de ce dernier, de fabriquer du kérosène pour les avions ?

Absolument, d’ailleurs cela fait cinq ans que nous travaillons sur ce sujet du kérosène, nous sommes actuellement en pleine phase de certification. La certification pour le kérosène est compliquée, puisqu’aucune improvisation n’est possible dans le monde aérien, le moindre incident c’est un avion par terre. Du coup, la procédure est très rigoureuse, elle est organisée par l’institution ASTM International, qui réunit tous les acteurs du domaine.

Il s’agit donc de biocarburant durable, parce que les produits utilisés pour les fabriquer sont des produits agricoles ? Quels sont les sucres utilisés ?

Oui. L'objectif ici n'est pas de peser sur les filières agricoles, il s'agit en fait d'utiliser les résidus des industries agricoles et forestières, notamment les sucres de paille et de bois. Nous travaillons depuis longtemps avec les acteurs du domaine. Les sucres utilisés ne sont pas très raffinés, nous ne pourrions pas vraiment les manger. C’est un liquide noirâtre qui ne donne pas envie, mais qui est suffisamment pur pour être utilisé par les bactéries et leur permettre de produire les composants.

Comment sont fabriqués les biocarburants à partir de ces résidus agricoles ?

C’est très compliqué. Il faut éduquer des bactéries ou des levures à transformer le sucre que nous leur donnons en un composé qui nous intéresse. Normalement, dans la nature, les bactéries fabriquent de la bactérie et puis se divisent et font leur chemin dans le monde. Nous, on a redessiné le métabolisme de ces bactéries en modifiant l'ADN pour que le sucre qu'on leur donne soit dirigé vers la voie métabolique qui fabrique de l’isobutène. Donc, nous forçons des bactéries à produire la molécule qui nous intéresse, ça s'appelle la biologie synthétique. C'est un petit domaine émergeant et sur lequel repose beaucoup de perspectives pour l'après pétrole. Certes, nous parlons de la voiture électrique et elle aura certainement une place dans le XXIᵉ siècle, mais il y a besoin d'autres carburants que ce soient pour les avions ou les transports terrestres.

© Ville de reims - Avion biocarburant

Par rapport à la voiture électrique, comment se positionne votre carburant ? Est-ce plus ou moins cher ? Quelle est votre position économique ?

Ça coûte très cher aujourd’hui, parce que nous produisons à petit volume. Mais on s'attend évidemment à avoir d’importantes économies d'échelle, qui vont faire baisser le prix dans les prochaines années. De toute façon, ce sera plus cher que le pétrole. Il n’y a aucune solution aujourd’hui, y compris la voiture électrique, qui permette d'être compétitif par rapport au pétrole. Donc, si on fait le bilan économique et environnemental précis des différentes solutions, nous voyons qu’il y en a besoin de plusieurs. L'avenir ne sera pas monolithique, il ne sera pas tout électrique, comme ça a été bridé en Europe pendant un certain temps avant de revenir en arrière. L’avenir sera un mix énergétique composé de plusieurs solutions, dans lequel les biocarburants ont une place à prendre et un rôle important à jouer.

Certains pays, dont le Brésil, ont opté pour le bio éthanol. Quel est votre avis sur le sujet ?

La France, d’ailleurs, est aussi un pays producteur d’éthanol important. Le Brésil, et dans une moindre mesure la France, ont des moteurs dits de « flex fuel », qui permettent d’utiliser l’essence ou l’éthanol de façon indifférenciée. Ce n'est pas le cas des autres pays du monde où il y a un mur de mélange à seulement 10 % pour l’éthanol. Ce que nous proposons nous, c’est d’amener comme avec l’éthanol, des biocarburants dans les moteurs.

Vous êtes aussi présents dans le cosmétique, qu’est-ce que vous faites dans cette industrie ?

Nous sommes très actifs dans le cosmétique, puisqu’il y a, dans ce milieu, une quête de naturalité très forte. En fait, les cosmétiques vont être la première industrie à sortir complètement du pétrole, L'Oréal en tête. Le projet de L'Oréal est de se passer de pétrole à l'horizon 2030. A cette date, 95 % des ingrédients doivent être biosourcés. Or, aujourd'hui, le groupe est à 61 %, il reste encore un bout de chemin à faire. L'Oréal est actuellement le premier investisseur et le premier client de Global Bioenergies. Nous menons donc ensemble un grand projet de fabrication d'ingrédients renouvelables.

Aujourd’hui, quels sont vos projets de développement pour l’entreprise ? Avez-vous des subventions ?

Nous avons le projet de construire une usine plus grande que l’actuelle. Pour porter ce projet, nous avons créé une filiale, qui s’appelle Via Viridia (« voie verte » en latin). Nous sommes actuellement en train de réunir des investisseurs pour le faire émerger concrètement à horizon 2026. Nous avons une banque d’affaires qui s’occupe de réunir les fonds, il n’y a pas d’appel public.

Nous avons eu des subventions importantes depuis la création de l’entreprise. L’État français nous a accompagnés. Nous avons aussi reçu 500 000 euros de la région Grand-Est pour la construction de notre usine sur le site de Pomacle, qui a coûté 3,4 millions d’euros. Plus récemment, nous avons eu une subvention de 4,4 millions d’euros pour lancer la filière Via Viridia

Pour pouvoir développer votre société et ce beau projet d’avenir, il va falloir vous développer à plus grandes échelles ?

C’est notre ambition. Nous devons produire des unités de plus en plus grandes pour pouvoir développer la société, mais aussi les différents marchés qui s’ouvrent aujourd’hui à nous.

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