AccueilÉconomieLe droit du patrimoine, levier ou contrainte à l'action publique ?

Le droit du patrimoine, levier ou contrainte à l'action publique ?

La Nuit du droit, organisée dernièrement à la Cour administrative de Versailles, a été l'occasion de s'interroger sur l'effet du droit du patrimoine en matière d'action publique.
Bénédicte Lorenzetto, ABF, François de Mazières, maire de Versailles, lors de la Nuit du droit.
© DR - Bénédicte Lorenzetto, ABF, François de Mazières, maire de Versailles, lors de la Nuit du droit.

Économie Publié le ,

Après une édition 2022 consacrée à l’État de droit en Europe, la Nuit du droit a mis cette année la focale sur les relations entre le droit, le patrimoine et la justice. Pour organiser cette soirée, plusieurs institutions versaillaises ont conjugué leurs efforts, à savoir la cour administrative d’appel (CAA), la cour d’appel, le tribunal judiciaire, le tribunal administratif, l’UVSQ et l’Ordre des avocats. Comme l’a expliqué Terry Olson, président de la CAA de Versailles, ce rendez-vous s’adresse, au-delà de la communauté juridique, à la société dans son ensemble. L’idée est de “montrer que le droit n’est pas l’apanage d’initiés, de professionnels, mais qu’il s’agit d’un outil dont l’ensemble de la société doit s’emparer”.

Après un exposé introductif donné par Maryvonne de Saint Pulgent, présidente de section au Conseil d’Etat et ancienne directrice du Patrimoine au ministère de la Culture, une première table ronde s’est attachée à déterminer si le droit du patrimoine était un levier ou une contrainte à l’action publique.

Pour répondre à cette question, les organisateurs ont fait appel à des acteurs institutionnels chargés de la protection du patrimoine. Bénédicte Lorenzetto, architecte des bâtiments de France (ABF) et cheffe de l’Unité départementale de l’architecture et du patrimoine (Udap), est d'abord revenue sur la construction progressive de la politique patrimoniale depuis deux siècles en France et sur l'évolution du corps des ABF, depuis l'origine. Elle a abordé ensuite un point lui tenant à cœur, l'image véhiculée par les ABF.

Le rôle de l’architecte des bâtiments de France

Dans l’esprit du public, les compétences de l’ABF se résument souvent à l’avis conforme qu’ils doivent rendre sur certaines demandes d'autorisation de travaux” a-t-elle déploré. Pourtant, les Udap sont chargées plus largement de protéger, d’entretenir et de restaurer le patrimoine, mais aussi de “conseiller et de promouvoir une architecture et une urbanisation de qualité en tenant compte du contexte”. L’ABF est aussi conservateur des monuments historiques appartenant à l’Etat.

Les conditions de délivrance ou de refus des avis, lorsqu’ils sont requis, ont tendance à réduire le débat sur le patrimoine ou l’aménagement du territoire. Les clichés sont tenaces sur la sévérité des avis, leur motivation arbitraire, en dépit de la proportion importante d’avis favorables rendus, assortis parfois de prescriptions”, a martelé Bénédicte Lorenzetto, qui a tenu à préciser que sur les 400 000 dossiers instruits par les ABF chaque année, seuls 6 % environ recevaient un avis défavorable. “Les préjugés sont assez tenaces” a-t-elle insisté, rappelant notamment que des dispositifs récents, comme la médiation, avaient assoupli les choses.

40 000 hectares d'espaces protégés

“La réduction des moyens des UDAP amène très souvent les ABF à prioriser leur mission”, a également confié Bénédicte Lorenzetto.Dans les Yvelines, les 14 agents de l’Udap, dont quatre ABF, exercent leur compétence sur 40 000 hectares d’espaces protégés au titre du code du patrimoine. Cela comprend les abords de monuments historiques ou périmètres délimités des abords, 11 sites patrimoniaux remarquables dont deux PSMV (plan de sauvegarde et de mise en valeur) - Versailles et Saint-Germain-en-Laye - et deux inscriptions au titre du patrimoine mondial de l’Unesco. “Cela correspond à 20 % de la surface totale, c’est considérable”, a assuré la cheffe de service, précisant que 15 000 actes étaient générés chaque année au titre des travaux dans ces espaces.

Face à cet enfermement du rôle des Udap, une circulaire est venue faire évoluer les pratiques en 2018 en renforçant notamment le dialogue. L’occasion de répondre ainsi aux enjeux de développement durable et d’accélérer la délivrance des autorisations. “Les Udap poursuivent la modernisation de leur pratique pour tenir compte de l’évolution de l’environnement institutionnel et sociétal”, a souligné Bénédicte Lorenzetto.

Le témoignage d’un maire au quotidien

François de Mazières, maire de Versailles a ensuite apporté le “témoignage d’un élu au quotidien” sur ces questions. Il faut dire que Versailles est un territoire particulier du point de vue réglementaire. Sur 2618 hectares au total, l’Etat en gère 1640, soit les deux tiers du territoire communal.

Selon l’édile, la situation est aujourd’hui très complexe, entre une protection forte du patrimoine et en même temps des exigences environnementales fortes. “La ville de Versailles est protégée, mais beaucoup de villes ne le sont pas du tout”, a-t-il souligné. “Au fond, la clé de tout cela, dans la pratique quotidienne, c’est la bonne entente entre les maires, les services de l’urbanisme et l’ABF”, a estimé l’ancien président de la Cité de l’architecture et du patrimoine.

Mais du point de vue environnemental, l’inquiétude est notamment apparue avec la mise en place du DPE, qui empêchera la location de logements considérés comme énergivores. “Nous nous trouvions dans une situation extrêmement difficile… Le ministère a fini par s'en rendre compte. On était en train d'empêcher la location d’une partie de notre patrimoine”, a expliqué François de Mazières.

Finalement, un décret est venu exempter la totalité des bâtiments versaillais de ces règles. Mais l’inquiétude demeure, la loi ayant fait mention “d’efforts” à fournir malgré tout pour améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments. “Nous attendons la jurisprudence. J’ai face à moi des gestionnaires de parcs immobiliers importants qui indiquent vouloir éviter de mettre leurs appartements anciens en location, tant que cette jurisprudence ne sera pas claire”, a assuré le maire de Versailles.

Les dispositifs réglementaires et législatifs sont forts en France. Mais dans la pratique, nous sommes obligés d’ajuster les choses pour que ce système devienne performant, car il est vraiment fragilisé au quotidien aujourd’hui”, a-t-il conclu.

Le Diagnostic de performance énergétique

Le diagnostic de performance énergétique (DPE) classe les logements de A à G en fonction de leur consommation d'énergie et de leur impact sur le climat. Les propriétaires de logements classés G (la plus mauvaise) ne pourront plus signer ou renouveler un bail avec un locataire à partir du 1er janvier 2025.

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