L’enjeu est de taille. Il s’agit d’atteindre les objectifs fixés à l’échelle nationale et internationale, dont la réduction de 50% des gaz à effet de serre en France d’ici 2030. La Commission européenne a quant à elle adopté une stratégie de neutralité carbone à l’horizon 2050. L’un des leviers qu’elle utilise consiste à renforcer l’intégration d’indicateurs “verts”, ou extra financiers, dans les informations publiées par les entreprises. Ce “reporting de durabilité” permet de promouvoir la transparence dans les opérations économiques et de réorienter les capitaux vers les investissements durables.
Cette stratégie s’appuie sur un cadre législatif qui s’est construit progressivement afin d’intégrer les enjeux du développement durable dans l’économie. Un texte aura prochainement un impact important sur les entreprises françaises, la directive européenne CSRD[1], qui s’appliquera progressivement à compter du 1er janvier 2024. Elle renforce les obligations de publication d’indicateurs extra-financiers et élargit le champ des entreprises concernées, lesquelles devront publier un rapport de durabilité inséré dans une section dédiée du rapport de gestion.
La note de l’institut Messine
C’est dans ce contexte detransformationque l’Institut Messine a récemment publié une note proposant une réponse technique et approfondie à la comptabilisation et à la publication d’informations sur les émissions carbone dans le cadre de ce reporting de durabilité.
Portée par le “think tank” de notre profession, signée par le spécialiste François Meunier[2], économiste et professeur affilié en finance d’entreprise à l’ENSAE – Institut Polytechnique de Paris, elle aborde la mise en place du système de comptabilité carbone dans les entreprises. En résumé, elle propose une méthode de collecte de l’information sur le même principe que le système de la TVA où le décompte du carbone doit se faire au niveau de chaque bien et service grâce à l’utilisation des outils analytiques numériques. Cette information serait indiquée sur les factures.
Un tel système apporterait une réponse à l’enjeu de connexion des données ESG et des données financières et permettrait le suivi du contenu carbone d’un bien tout au long de la chaîne de valeur entre fournisseurs et clients, cette donnée étant fiabilisée via l’audit.
Les nouveaux critères de valeur d’une entreprise
Au-delà de son aspect technique, cette note est une illustration d’un problème que rencontrent les acteurs économiques : comment faire le lien entre des données financières et des données ESG pour construire une information intégrée et fiable ?
Quand les critères environnementaux ne sont pas correctement mesurés et/ou communiqués par les entreprises, cela conduit désormais les investisseurs, au mieux à décoter les valeurs de ces entreprises, au pire à s’en détourner.
Cette réalité, que l’on voit déjà poindre depuis quelques mois, pose la question fondamentale de ce qui constitue la valeur de l’entreprise. Historiquement calculée à partir des résultats financiers et des comptes, elle doit désormais intégrer d’autres critères plus difficiles à comptabiliser.
Si l’évolution des normes comptables, notamment IFRS, a permis d’apporter des corrections dans la détermination de la valeur d’une entreprise afin d’aboutir à une traduction plus juste de leur valeur financière, l’enjeu, pour les acteurs économiques, sera de comprendre ce qui constitue cette valeur dans le cadre du rapprochement progressif du reporting financier et extrafinancier.
C’est aussi un enjeu pour les apporteurs de confiance que sont les commissaires aux comptes. En effet, pour émettre notre opinion en qualité de commissaire aux comptes, nous auditerons bientôt un seul et même jeu de données qui mèlera intrinsèquement données financières et extrafinancières.
Plus qu’un sujet de règlementation applicable à quelques dizaines de milliers d’entreprises, la CSRD pose ainsi la question de la valeur, des moyens de la déterminer et d’informer les parties prenantes dans un contexte de transformation profonde et rapide.
Dans leur prise de décision, les banquiers, les investisseurs, les donneurs d’ordres regardent les bénéfices, les parts de marchés et s’interrogent sur l’avenir d’une entreprise à l’aune de ces changements. Va-t-elle prendre de la valeur ou en perdre ? Quelle est sa capacité réelle à embrasser les enjeux de durabilité, notamment carbone ? A transformer son business modèle ? A produire des données fiables en termes de durabilité ?
Dans le cadre de nos échanges, nous demandons aux dirigeants d’entreprises quels sont les éléments qui ne se trouvent pas dans les comptes et qui concourent à la valeur de l’entreprise. Nous leur demandons de plus en plus s’ils sont en capacité de rassurer leurs parties prenantes sur la réalité et la profondeur de leur transformation.
Qu’ont-ils mis en œuvre ? Sont-ils en capacité de le prouver ? Dans l’affirmative, nous pouvons les aider à structurer leurs process et fiabiliser leurs données car le périmètre de notre mission embrasse par nature le champ de la durabilité.